Toni Pecoraro, les architectures visionnaires

Toni Pecoraro, les architectures visionnaires

Toni Pecoraro, les architectures visionnaires

 

 

Pecoraro 2011, San Petronio, Bononia, credit Marco Fiori©

 

 

Di Marco Fiori©

Traduzione di Emmanuelle Iachini

Toni Pecoraro, les architectures visionnaires

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Ceux qui connaissent Toni Pecoraro uniquement à travers son œuvre graphique se l’imaginent sans doute comme un personnage un peu introverti, plus problématique qu’il ne l’est en réalité. La complexité de ses images, liées depuis toujours à la structure du labyrinthe, font difficilement penser à un artiste méthodique et diligent, ressemblant aux maîtres des antiques ateliers, comme il l’est effectivement. La définition qui s’adapte le mieux à lui est sans aucun doute celle d’« artisan graveur », un chalcographe avec de grandes stimulations intellectuelles et de très grandes ressources techniques au service d’une iconographie liée au rêve, à la légende et au mystère. Comme un cartographe mythologique, Pecoraro semble déclarer de façon explicite l’influence archaïque et mystérieuse qui guide son inspiration poétique. Dans une de ces incisions de 2008, Knossos, il représente le plus célèbre des labyrinthes antiques qui, dès ses tableaux de jeunesse, l’a inspiré dans l’invention de vues en perspective d’une suggestion spectaculaire. Si la découverte de ce labyrinthe, en 1902 à Crète, a inspiré certains travaux des plus grands artistes du XXe (comme Mondrian, Mirò, Picasso, Escher) qui l’ont inséré dans des variantes de leur poétiques, pour Pecoraro le labyrinthe de Cnossos a toujours été sa principale source d’inspiration. Novello Dedalo semble vivre à son aise dans ces espaces mystérieux et, comme un architecte génial, il construit dans ces enchevêtrements cauchemardesques des monuments, des cathédrales, des places et des villes entières.

Pecoraro, Cirignola, credit Marco Fiori©

 

Cette vocation monumentale, développée et supportée par un procédé de travail sans doute unique parmi les chalcographes contemporains, semble rappeler dans l’objectif final la monumentalité exprimée par Piranesi dans les “Antichità Romane de’ tempo della prima Repubblica e dei primi imperatori”. Ces tableaux, gravés vers la moitié du XVIIIe siècle, mettent en évidence avec l’isolement et la dilatation des éléments architecturaux une grandeur artificielle qui en emphatise les splendeurs antiques. Il est possible de dégager le même mécanisme mental, le même artifice suggestif, aujourd’hui dans les tableaux chalcographiques de Pecoraro où sa “monumentalité d’invention” est fonctionnelle au caractère visionnaire du récit. Piranesi avait tendance à exaspérer les dimensions architecturales avec des déformations perspectives, pour intégrer les ruines antiques avec des éléments de son invention (comme des tombes, vases, autels etc.) mais c’est dans la distribution des lumières et des ombres qu’il nous a démontré ses grandes capacités de chalcographe. Pecoraro, avec une similitude inversée, transforme les images dilatées par l’œil désenchanté par la civilisation moderne et les transpose dans d’inquiétants panoramas futuribles, une sorte de vision aliène, une Cnossos-Métropolis qui aurait plu aux avantgardes de la cinématographie surréaliste mais, surtout, à Fritz Lang, l’auteur visionnaire du premier film de science-fiction (Métropolis, 1927). Tout le monde connaît l’importance que des metteurs en scène comme Lang (qui, ce n’est pas un hasard, avait étudié architecture et peinture), Buñuel, Cocteau etc., attribuaient à la construction des ombres dans leurs films qui, souvent, prenaient un rôle fondamental dans l’organisation scénographique emphatisée, à son tour, par la projection de la pellicule en noir et blanc. Dans les incisions chalcographiques de Pecoraro, la distribution des ombres frôle souvent la perfection. Chacun de ses tableaux nait après un processus très long et extrêmement laborieux. L’image, pensée et élaborée comme un projet architectural, est dessinée sur papier et transférée sur plaque en vernis mou. Avant d’aller plus loin, l’artiste réalise une « maquette » en construisant avec l’argile un modèle tridimensionnel à la même échelle que la matrice.

Pecoraro, Labirinto, credit Marco Fiori©

 

Cette maquette, une véritable sculpture-projet, sert à l’auteur pour déterminer le jeu d’ombres et lumières complexe qu’il devra obtenir avec les lentes morsures et les nombreuses couvertures de la matrice qui, pour les plus grandes plaques, peuvent arriver à une centaine de passages dans le mordant. La matrice, initialement gravée dans un vernis, se complète dans les différents passages avec l’eau-forte et l’aquatinte et, presque toujours, avec des interventions finales de pointe sèche et de burin. Je crois qu’un tel dévouement à l’art chalcographique soit, sinon unique, certainement rare dans le panorama de la gravure contemporaine mais je pense, surtout, que la qualité et l’originalité de son œuvre graphique présente Toni Pecoraro comme l’un des auteurs les plus intéressants qui travaillent aujourd’hui en Italie.

 Bologne, décembre 2011

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DESTRUTTURALISMO Punti salienti

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